Le SAMSAH du 61 ter, boulevard de Charonne : un lieu de vie où liberté rime avec sécurité.

Quand sonne l’heure de la retraite pour les travailleurs handicapés déficients intellectuels, c’est le grand saut vers l’inconnu, avec beaucoup d’angoisse à la clé. Une transition qui bouleverse les habitudes et les rituels.

Changement de statut administratif, perte des repères quotidiens, sentiment de vide et d’inutilité, rupture du lien social, repli sur soi et isolement, tout concorde pour fragiliser davantage encore le quotidien de ces personnes vulnérables.

- Qu’advient-il alors pour ces adultes vieillissants qui ont passé la majeure partie de leur vie, souvent 30 voire 40 ans, dans l’environnement protégé d’un ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail) ?

- Comment vit-on après avoir eu une relation forte au travail, créatrice de liens sociaux quasi exclusivement construits au sein de l’entreprise d’accueil ?

- Comment répondre aux défis de ce nouvel et ultime parcours de vie ?

- Défi collectif autant qu’individuel, qui engage la personne handicapée autant que l’organisation sociale, et qui perturbe le regard communément posé sur le vieillissement, quelles sont aujourd’hui les alternatives possibles pour donner à chacun l’opportunité, à l’heure du départ à la retraite, de finir sa vie apaisé, sécurisé, selon ses désirs et dans le respect de ses décisions ?

- Comment sauvegarder ces facteurs d’équilibre pour conserver sa place dans la société ?

Confrontée à cette problématique, l’association “Vie et Avenir”, créée en 1977 et née à l’initiative d’un groupe de parents d’enfants présentant une déficience intellectuelle légère, a cherché très tôt des solutions visant à éviter, l’heure venue, le placement en institution des travailleurs handicapés proches de la retraite ou retraités. L’enjeu étant de préserver leur autonomie en réunissant les conditions nécessaires à un accompagnement renforcé au quotidien.
"Vie et Avenir" a ouvert, dès 2001, un premier Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés. (SAMSAH). Renouvelant l’opération le 13 juin 2016, un deuxième SAMSAH s’est ouvert dans le cadre du programme municipal du 61-63, boulevard de Charonne (Paris 11ème), mixant 105 logements sociaux familiaux, une crèche de 66 berceaux, notre Maison de Santé Pluri-professionnelle et des équipements collectifs multi générationnels.
En tant que “voisin de palier”, l’Association Santé Charonne (ASC) a rencontré Sébastien Faure, directeur de cette nouvelle structure composée de 22 logements pour actuellement 23 adultes dont deux couples.


Entretien avec Sébastien Faure, directeur du SAMSAH du boulevard de Charonne, Paris 11ème.


Quelle est la spécificité de votre structure ?

Il existe sur Paris un certain nombre de SAMSAH (“Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés”). Mais la particularité de notre service est qu’il s’adresse à des personnes déficientes intellectuelles âgées, proches de la retraite ou retraitées, et qu’on y a associé des appartements, situés juste au-dessus du service.

Quels sont les points forts de votre projet de service pour accompagner et maintenir l’autonomie de ces personnes au quotidien ?

Il y a d’abord les moyens humains et matériels. Mais après, pour créer cette structure, on est surtout parti du besoin des adultes et de ce qu’ils pouvaient nous dire en terme de projet de vie. On s’est inspiré avant tout de ce qu’ils souhaitaient pour pouvoir imaginer un service susceptible de les accompagner dans leur maintien à domicile, une fois retraités.
Nous les avons rencontrés à raison d’une fois par mois pendant un an et demi, au sein d’un groupe très large puisque que toute personne pouvait postuler pour intégrer ce futur service, et nous avons adapté leurs demandes aux exigences de l’appel à projet auquel nous avions répondu. C’est un mixte entre l’appel à projet, qui était très carré, et les besoins repérés au niveau des adultes.

La solitude : un risque majeur.

Ils sont assez clairs dans leur projet de vie, dans la mesure où ils ont toujours vécu en appartement. Une fois à la retraite, confrontés à des problèmes de santé ou de solitude, leur projet était de pouvoir continuer à vivre en appartement. Ils ne veulent surtout pas entendre parler de foyer, de maison de retraite…
C’est pour cela que les appartements sont justes au-dessus du service avec une présence 24h sur 24h toute l’année. L’accompagnement de leur quotidien est facilité par cette proximité car les adultes, auparavant, habitaient dans tout Paris, dans tous les arrondissements, principalement dans l’ouest parisien, où ils avaient leur propre appartement. Ces personnes-là ont travaillé principalement en ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail) sur des périodes allant de 30 à 40 ans voire plus. Une fois retraitées, c’est un bouleversement dans leur vie puisque tous leurs repères sont remis en cause et qu’il leur est difficile de s’appuyer sur un réseau à la fois social et familial. Les liens sociaux étaient principalement au sein de l’ESAT. Une fois que la personne arrête de travailler, elle perd ces liens. Pour les liens familiaux, c’est en fonction de chaque situation - mais avec le fait, quand même, que les parents sont souvent très âgés voire ne sont plus là et avec des frères et sœurs qui sont aussi d’un certain âge et n’habitent pas forcément sur Paris. Le risque d’isolement est, au moment de la retraite, pour les personnes que nous suivons, un risque majeur.

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Quelle place laissez-vous à la famille dans l’organisation de votre structure ?

Vie et Avenir est une association loi 1901, créée et gérée par les familles. Elle est affiliée à l’UNAPEI. Donc le travail avec les familles est une dimension qui a toujours existé au sein des services. Il n’y a pas d’un côté le service et de l’autre les familles. Il y a une collaboration qui se met en place, en fonction des situations, dans l’intérêt de la personne accompagnée.
Certaines situations demandent plus de temps pour que la personne puisse effectivement trouver sa place, puisqu’on a, parmi les candidats qui ont postulé pour le SAMSAH, différents profils. Il y a des personnes qui étaient déjà accompagnées depuis un certain nombre d’années et d’autres qui sont venues de l’extérieur et qui ne connaissaient pas de façon précise ce que pouvait être un service d’accompagnement social, même si elles ont pu en entendre parler par leurs collègues de travail ou d’autres associations. Pour ces personnes, cela nécessite un certain temps d’adaptation.

Pour les familles, c’est un soulagement certain.

C’est du cas par cas. Mais on peut dire, au total, que chacun y trouve son compte. A la fois, le bénéficiaire et les familles qui trouvent un soulagement certain dans la mesure où c’est une structure qui est amenée à accompagner les personnes dans le temps, sans qu’il y ait d’échéances, donc c’est sécurisant. Après, les rôles de chacun sont à travailler et à définir au fil du temps.
Nous intervenons, pour notre part, dans tous les domaines de la vie quotidienne : entretien de l’appartement, ménage, gestion des papiers administratifs, du budget, organisation des loisirs ou du temps libre… C’est notre projet de service.

Comment vos résidents participent-ils à votre projet de service ?

Il existe une instance depuis une trentaine d’années au sein de nos différents services - le “conseil de la vie sociale”. Les adultes y ont leurs représentants. Les élections ont lieu en septembre. C’est une instance qui permet aux adultes de faire remonter leurs demandes. Leur parole est aussi prise en compte dans les activités proposées chaque après-midi. Elle l’est d’ailleurs depuis le tout début, dans le sens où ils ont pu dire ce qu’ils souhaitaient en terme de projet architectural par exemple.

Etre comme tout le monde, c’est vivre en appartement.


Après, il y a une réalité qu’il faut prendre en compte. On a essayé de voir avec eux comment on pouvait trouver un fonctionnement qui garantisse - c’était leur souhait - leur liberté. Sachant que la liberté pour eux est un concept qui tourne autour de la vie en appartement : être comme tout le monde, c’est vivre en appartement. Et la liberté, ce n’est pas forcément refuser l’accompagnement quand il y a un problème ponctuel.
Nous sommes dans un accompagnement hebdomadaire : chaque personne est vue une fois par semaine par un travailleur social et une infirmière. Cela fait partie du contrat. Certaines personnes demandent plus d’accompagnement.

Comment accompagnez-vous la fin de vie de vos résidents dans cet ultime parcours de vie ?

C’est une réflexion qui existe au sein de l’association depuis 2008. L’association a été créée en 1977 et le premier service a ouvert en 1982. Il compte aujourd’hui 90 bénéficiaires en situation de travail, donc des adultes un peu plus jeunes. Puis, confrontée au devenir de ces adultes lors du départ à la retraite, l’association a décidé d’ouvrir en 2001 un service d’accompagnement pour personnes handicapées mentales âgées (SAPHMA) qui a une capacité de 31 adultes. Dès 2005, on s’est aperçu que le maintien à domicile était fragilisé par des problèmes de santé et les départs à la retraite et qu’il fallait réfléchir à une autre possibilité en terme d’accompagnement. En 2009, l’association Vie et Avenir a ouvert le premier service dédié aux personnes âgées déficientes avec un service associé à des appartements.

Les professionnels confrontés à la fin de vie.

La structure Charonne est une réplique, avec quelques modifications, du SAMSAH de 2009 qui existe toujours dans le 15ème arrondissement. C’est la première génération de bénéficiaires de ces structures qui confronte les professionnels à l’accompagnement à la fin de vie.
Un partenariat s’est mis en place avec des structures de soins palliatifs, la Maison Médicale Jeanne Garnier, en l’occurrence dans le 15ème arrondissement. On étaye au maximum l’accompagnement autour de professionnels qui ont les compétences requises pour accompagner ces personnes dans leur dernière étape. Le bâtiment a été conçu avec des appartements pouvant être médicalisés. Hormis une hospitalisation, les personnes peuvent rester chez elles, même en cas d’autonomie très réduite.

Cette problématique induit-elle des formations nouvelles pour le personnel d’encadrement ?

Les professionnels du SAMSAH sont composés de travailleurs sociaux pour la partie éducative et, pour la partie soins, d’infirmières, d’aides soignantes et d’un médecin vacataire. Les personnels de soins sont un peu plus armés de par leur formation. Pour une grande partie, ils ont travaillé en maison de retraite. Après, il y a la formation continue qui permet d’acquérir d’autres compétences pour suivre l’évolution des parcours de vie. On est dans ce processus-là. Les fonds de formation ne sont pas suffisants. Mais l’association participe, sur ses fonds propres, à la formation des salariés.
Au niveau de l’amplitude des âges, chez nous, la plus jeune résidente a 47 ans, mais la majorité est âgée de 60 à 75 ans.
Aujourd’hui, les demandes de formation portent davantage sur le handicap mental que sur les problèmes réellement liés au grand âge. Mais ça viendra dans le temps.

Comment voyez-vous la dynamique sociale dans le quartier Charonne où vous êtes implanté aujourd’hui ?

C’est vrai que les adultes ont déménagé de leur appartement où ils avaient vécu pour certains plus de 40 ans. Ils y avaient tous leurs repères. Ce changement pour intégrer le 11ème a été un enjeu important, puisqu’ils arrivent dans un nouvel arrondissement qu’ils ne connaissaient pas forcément, avec de nouveaux repères à trouver. Je dirais que cela se fait au jour le jour et à leur vitesse.

Ils sont très ancrés dans la réalité et le concret.

La priorité pour les adultes est, dans un premier temps, de savoir où se trouvent les commerces, la poste, les banques… et, dans un second temps - nous sommes dans cette période et nous le faisons avec eux -, c’est la découverte du quartier et des infrastructures qu’il propose en terme de divertissements ou d’activités. Sachant que certains n’ont pas fait une croix sur leur ancien quartier.

Ils ont la liberté totale de retourner dans leur ancien quartier voir leurs amis, qu’ils soient à Paris, en province ou en banlieue.


Ils peuvent ne pas être accompagnés, selon leur degré d’autonomie. Il y en a qui travaillent encore. C’est un petit nombre : 11 sur 31 adultes à ce jour, ce qui n’est pas négligeable, même si on est sur des projets retraite. Ces personnes-là travaillent principalement en ESAT.
Le public accueilli en ESAT est très hétérogène au niveau des capacités, donc des projets de vie. En établissement professionnel protégé, il y a très peu d’adultes qui vivent seuls chez eux. Je pense que dans l’avenir, ces personnes s’orienteront de plus en plus vers une vie autonome en appartement, mais la plupart vivent en foyer ou encore au domicile familial.

Que se passe-t-il lors de la fin de la prise en charge par la structure professionnelle ?

Se pose alors la question de la fin de prise en charge par la structure professionnelle. L’allongement de la durée de la vie concerne aussi, bien sûr, les adultes déficients. Cela est lié au progrès de la médecine et à l’amélioration des prises en charges. C’est une problématique qui a émergé au milieu des années 1990.
L’association Vie et Avenir a fait le choix de se l’approprier très rapidement et de réfléchir à la manière dont on pouvait continuer à accompagner ces adultes arrivés à la retraite. C’est pour cela qu’aujourd’hui se déclinent trois types d’établissements qui fonctionnent en ce sens : les SAMSAH, les SAPHMA et les Services d’accompagnement à la vie sociale, SAVS, pour accompagner les personnes vieillissantes

Il y a une prise de conscience.

Dans le champ du handicap, l’adaptation des structures fait partie de la réflexion de beaucoup d’établissements. Il y a une prise de conscience. On a souvent tendance à minimiser la difficulté que les adultes ont à vivre au quotidien avec leur handicap. On s’imagine que, parce qu’ils sont âgés, ils ont fait le deuil de leur handicap et de leur différence. Loin de là. Puisque c’est surtout des deuils successifs, mais jamais celui du handicap. C’est-à-dire qu’à certains moments de leur vie, ces souffrances sont réactivées notamment lors du départ à la retraite puisque les adultes, dans un premier temps, ont toujours l’impression que l’accession à la retraite est une normalité et qu’ils ne sont plus travailleurs handicapés. Or, plus la retraite approche et plus cela va générer de vide. Et cela les renvoie à leurs propres difficultés, donc c’est un point assez important dans la prise en charge, car ils sont confrontés à la perte du tissu social avec, pour eux, la difficulté de pouvoir lutter contre ce sentiment d’isolement. Ils n’ont pas forcément pu se construire une vie de famille et leur vie sociale était principalement centrée sur leur vie professionnelle.

Le travail : un ancrage affectif très fort.

Le travail reste un ancrage affectif très fort pour eux. Au moment où tout s’arrête, le risque d’isolement est très important. On vieillit comme on a vécu. Donc comme le travail a représenté tous les ancrages (affectifs, financiers…), quand cela s’arrête, il y a un vide, beaucoup de vide.
C’est le cœur de notre problématique. Et notre projet de service se construit par rapport à cette population de jeunes retraités : comment les accompagner dans cette nouvelle étape. Avec, bien sûr, des projets différents lorsque les personnes travaillent encore.

Avez-vous déjà une vision du niveau d’intégration des adultes dans le quartier ?

Les adultes n’ont surtout pas envie d’être stigmatisés. Cela veut dire qu’ils vont se fondre dans la population locale de l’immeuble, du quartier. A aucun moment ils ne vont mettre en avant leurs difficultés pour créer une dynamique sociale.

Ce qu’ils veulent : c’est faire comme tout le monde.

Eux, ce qu’ils veulent, c’est faire comme tout le monde. Au sein de cet immeuble, ils ne veulent surtout pas être vus comme des personnes handicapées, mais comme des personnes lambda proches de la retraite ou retraitées. Ce qui veut dire que l’arrivée dans le quartier va se faire petit à petit, à leur vitesse et en fonction des rencontres et de la possibilité pour eux d’aller vers l’extérieur, car c’est aussi une des missions du service. Et nous sommes toujours, avec eux, dans la recherche de nouvelles possibilités, pour eux, de pouvoir s’insérer dans le tissu local.

Est-ce rassurant pour eux d’avoir une maison de santé Pluri-professionnelle juste en bas de chez eux ?

Effectivement, car on est dans une coordination et une continuité de soins. Certains ont voulu garder leur médecin traitant, d’autres ont décidé de changer. Sachant que la santé pour eux est un point compliqué puisqu’il renvoie aussi à une prise en charge continue depuis leur plus tendre enfance, avec la difficulté de verbaliser ce qui ne va pas. On s’aperçoit qu’ils ont toujours tendance à dire au dernier moment ce qui ne va pas. D’où l’intérêt de pouvoir accompagner ces personnes au quotidien dans leur projet de santé. Généralement, on se trouve déjà à un stade avancé de la maladie parce que, aller chez le médecin, c’est compliqué pour eux. Il y a la peur d’être hospitalisé, peur de la prise de médicament, des examens médicaux…

Une blessure narcissique qui vient perturber l’avancée en âge.

Ces problèmes de santé, liés à l’âge, viennent amplifier le handicap et rajoutent potentiellement une petite blessure narcissique qui vient perturber l’avancée en âge. Il y a un petit fond dépressif chez ces adultes parce qu’effectivement, une fois retraités, leur statut est plus que flou. Il faut conjuguer avec son histoire passée et cette histoire, ce n’est pas l’aspect financier qui va la valoriser parce qu’ils ont de toutes petites retraites. Ce qui veut dire qu’en terme de projet de vie, cela reste limité. Et cette blessure narcissique est liée aussi au fait qu’ils ne sont plus travailleurs handicapés car retraités, avec un fort sentiment d’inutilité.

Le voisin et le voisinage compte énormément.

Pour lutter contre ça, il y a la dynamique sociale et de groupe qui fait que les adultes apprennent à vivre ensemble avec leurs difficultés. Et il se crée une nouvelle histoire avec une solidarité de voisinage qui est importante dans la mesure où ils ont des liens familiaux distendus. Le “voisin” et le voisinage comptent énormément. Ils se rencontrent dans la salle à manger du service, dans la cuisine, la salle informatique, ils sortent ensemble au cinéma, au restaurant, accompagnés ou non selon la situation.

 

Propos recueillis par
m.blb, bénévole à l’ASC
Décembre 2016

 

Association Vie et Avenir

http://www.vieetavenir.fr/

Liste des sigles utilisés
ESAT : Etablissement et service d’aide par le travail
SAMSAH : Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés.
SAPHMA : Service d’accompagnement pour personnes handicapées mentales âgées.
SAVS : Service d’accompagnement à la vie sociale
UNAPEI : Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (anciennement : Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés)