Marie Paule Bentejac, mère d’un enfant handicapé mental, est bénévole dans l’association parisienne de parents et amis de personnes handicapées mentales « Les Papillons Blancs de Paris APEI 75 ». Dans la section du 11ème arrondissement , elle accueille les familles d’enfants handicapés pour aider à la construction d’un projet de vie, informer, écouter, orienter ou faire reconnaître les droits de chacun. 

Présidente adjointe et membre du conseil d’administration de cette association, elle nous donne ici son témoignage sur son expérience de parent et de bénévole face au problème du vieillissement de la structure familiale.

Section du 11ème : section11@apei75.org ou tel : 01 43 73 92 36
Permanence en mairie du 11ème : le 3ème mercredi de chaque mois, « Espace famille » de 17h à 19h.


ASC : Avec l’augmentation de l’espérance de vie pour tout un chacun, les parents vieillissent et la personne handicapée dont ils ont la charge aussi. Quels problèmes cette nouvelle longévité pose-t-elle pour les parents et l’adulte handicapé(e) ?

Marie-Paule BCette question, dès que l’on a un enfant handicapé mental, on se la pose. « Si on s’en va, qu’est ce qui va se passer ? » Nous sommes d’emblée dans l’inquiétude : « Et quand nous ne serons plus là ? Cette question s’accentue avec le vieillissement, c’est vrai. Cela devient un vrai problème, parce que les personnes handicapées vieillissent. Autrefois, elles décédaient beaucoup plus tôt, bien souvent avant les parents. On se disait : il faut tenir tant qu’ils sont là. Je vois beaucoup de mamans, ici sur le secteur, très âgées, qui tiennent. Elles ont 85 voire 90 ans, parce qu’elles savent qu’il faut partir après leur fille ou leur fils. C’est inconscient mais, c’est ça, il faut tenir. Moi, je le perçois comme ça : être là jusqu’au bout.

Le vieillissement, tant mieux, parce qu’on les soigne mieux, il sont mieux suivis. Dès qu’il y a un diagnostic, on sait mieux quel domaine va être sensible, qu’il y a des types de cancer plus fréquents chez certaines personnes handicapées. On sait qu’on peut mieux surveiller, soigner. On a une aide médicale. Du coup, on prolonge leur vie, ils sont mieux accompagnés. Mais qu’est ce qu’on va faire ? Jusqu’à quand va-t-on pouvoir assumer cette responsabilité ? 

Même si on trouve des places dans des structures spécialisées, les parents sont souvent tuteurs ou accompagnants jusqu’au dernier moment. Il y a deux choses. Si on le garde à la maison - j’ai déjà en tête plusieurs familles, plusieurs mamans qui se posent cette question -, il arrive un moment où on n’arrive plus à se séparer, parce que c’est tellement fusionnel, c’est tellement le binôme maman-fille ou maman-garçon, (d’ailleurs, souvent les papas sont partis avant du fait de l’âge) qu’elles ne peuvent plus prendre la bonne décision. A 85 ans, on ne peut plus prendre la décision de se mettre dans une maison de retraite ou placer son enfant dans un foyer d’accueil médicalisé (FAM) car, souvent, le handicap et les problèmes de santé s’accentuent avec le vieillissement.
Nous, en tant qu’association, on essaie d’aider ces parents à prendre la décision avant qu’il ne soit trop tard. Sinon, ça va jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’au décès des parents. Si les parents ont réussi à se détacher avant, c’est-à-dire à trouver un placement adapté à la pathologie de leur enfant, la rupture se fait plus en douceur, parce que la personne arrive à s’habituer, à se détacher de la famille. Quelquefois, elle le souhaite aussi, ça lui fait du bien. Les parents choisissent leur vieillissement et la personne handicapée aussi. Les éducateurs sont aujourd’hui mieux formés au vieillissement, à accompagner jusqu’à la fin de vie la personne handicapée.
Quelquefois, j’ai des personnes qui demandent à être en maison de retraite avec leur enfant handicapé. Comme on manque terriblement de places - car cette situation n’a pas été pensée, on est face à une situation difficile. Ce qui se passe, c’est que les EHPAD ou certaines maisons de retraite arrivent à avoir des annexes de temps en temps, car ce ne sont pas les mêmes soins à apporter à une personne de 60 ans et à celle de 80 ou 90 ans. Ce n’est pas la même attention. Ce n’est pas parce qu’on a 60 ans qu’on est plus handicapé. On est personne âgée toujours handicapée.
Je pense qu’il va falloir qu’on arrive à ce genre de solution.
Mais il n’y a plus d’appels à projets pour ça. On est coincé. On ne peut pas porter des projets si l’Agence régionale de Santé (ARS) ne les met pas sur la table.

ASC : Quel rôle peut jouer la fratrie lorsqu’il devient indispensable de prendre le relais des parents vieillissants ?

Marie-Paule BEffectivement, par rapport à la fratrie, - déjà, il y a des personnes handicapées qui n’ont pas de fratrie -, être tuteur, c’est bien mais il y parfois un moment où l’on sent qu’on ne peut plus l’être parce que la gestion, ça devient difficile pour soi (logement, travail, disponibilité, vie de famille,…). Mais lorsque, avec des parents, on peut en parler assez tôt , ils peuvent confier la tutelle à des frères et sœurs. Mais ces derniers ne sont pas obligés légalement d’avoir cette charge. Donc il y a des agences tutélaires pour ça. La loi 2005 permet d’avoir une double tutelle. Une pour la partie financière, comme la gestion du patrimoine, et une plus pour la gestion de la personne. Ce que l’on conseille, c’est que la maman puisse garder la gestion de la personne, et la gestion financière est confiée à une association tutélaire ou à un frère ou une sœur, un cousin, neveu ou nièce. Ce qui permet déjà de se partager un peu les choses. Et après, c’est plus facile à la maman de dire « bon, maintenant je n’y arrive plus, tu peux peut-être prendre le relais ».

Ou bien on met deux personnes. Cela soulage tout le monde. Pour ne pas être seul avec ce poids sur les épaules. Cela permet de mieux envisager l’évolution de la situation dans la fratrie. Pour certain frère ou sœur, ce n’est pas possible. Pour d’autres, c’est indispensable. Mais affectivement, c’est tellement prenant pour eux, ils prennent tellement cela à cœur que ça bouleverse leur vie. Ils en perdent leur propre vie. Il peut y avoir conflit avec leur conjoint, leurs propres enfants. Ils ne veulent pas lâcher, ils se sentent trop responsables. Nous avons un peu toutes les situations et, parfois, cela va au conflit avec les parents. Le frère ou la sœur voit ce qu’il faudrait faire dans certaines situations, propose des solutions que le papa ou la maman qui reste, refuse. Le juge va alors chercher une association tutélaire parce qu’il se rend bien compte que cela va être conflictuel avec les parents. Mais que fait-on de l’avis de la personne handicapée ? Si elle émet un avis, le juge peut l’entendre. Sa parole est prise en compte à condition qu’on l’écoute. Qu’on lui permette d’être entendue. Le problème de nos enfants handicapés, c’est qu’ils veulent tellement faire plaisir à tout le monde qu’ils peuvent avoir, dans la même heure, un avis favorable aux frères et sœurs autant qu’aux parents ou à un éducateur, ce qui est contradictoire. C’est souvent compliqué ! Il faut arriver à leur faire dire ce qu’ils pensent eux.
C’est souvent difficile et c’est pour cela qu’avec des institutions qui font bien leur travail, on se retrouve à plusieurs pour discuter de ces choses-là. Ce qu’on entend de ce que nous dit la personne handicapée et ce qu’elle dit aux autres peut être différent. On arrive mieux à faire la part des choses. Je vois aussi des mamans qui sont dans le déni de ce que peut dire leur enfant. Parce qu’elles ont toujours fait de leur mieux, consacré leur vie à s’occuper de leur enfant, peut-être abandonné leur travail, qu’elles se sont peut-être séparées de leur mari, fâchées avec les autres enfants, tout cela pour s’occuper de lui ou d’elle, et puis, au dernier moment on s’aperçoit que ce n’était pas la bonne route ou la meilleure route. C’est trop dur à entendre.

ASC : En tant qu’association, que pouvez-vous apporter aux parents en situation de vieillissement ?

Marie-Paule BAux Papillons Blancs, on fait souvent des entretiens individuels. On essaie de suivre les familles qui sont fidèles, qui sont adhérentes depuis longtemps. On les connait bien. On voit les problèmes se dessiner. On essaie de leur en parler. Elles viennent nous voir quand elles se disent « ah là, il faut que je trouve une solution pour mon fils ou ma fille ». Pour trouver un établissement, on fait le dossier avec eux pour la MDPH (Maison de santé départementale des personnes handicapées). On les dirige sur le type d’orientation à demander, on peut chercher ensemble. On essaie de leur faire comprendre que demander une orientation, avoir l’accord pour qu’éventuellement son enfant puisse être le jour J dans l’établissement, c’est une démarche qu’on n’est pas obligé de mettre tout de suite en œuvre. Cela les rassure, mais il faut les préparer. Il y a la séparation, donc c’est à travailler avec elles, en amont.
Nous faisons des réunions, beaucoup de réunions sur cette transmission du patrimoine, sur la tutelle ou autre, mais derrière ces questions, on sent bien qu’il y a tout cet affectif à régler. Souvent, c’est l’argument. On n’y arrive pas toujours. Quand c’est tard, c’est difficile. Plus les parents avancent en âge, plus ils iront jusqu’au bout. Aux Papillons Blancs, dans le petit groupe dont je m’occupe, on essaie deux à trois fois par an, d’organiser des débats sur des sujets qui nous concernent comme le travail en ESAT (Etablissement et Services d’Aide par le Travail), l’exclusion scolaire, les problèmes de protection juridique, la question de la fratrie, les problèmes des conseils de la vie sociale dans les établissements ou les conseils d’usagers, où la personne handicapée a sa place et peut s’exprimer sur ses conditions de vie…

ASC : La situation de handicap est particulière à chacun mais comment la personne handicapée vit-elle le vieillissement du ou des parents qui en ont la charge ?

Marie-Paule BSouvent, elle va tenir le discours des parents – tu ne vas pas aller dans un « truc » où c’est comme une prison, on va te voler tes cigarettes,… Tu ne vas pas aller dans un foyer parce que tu seras moins bien soigné qu’à la maison – donc ils sont convaincus que ce qui est le mieux pour eux, c’est d’être à la maison. Sauf certains, mais dans ce cas, ils l’auront manifesté plus tôt.
Mais en fait, les parents ont besoin de lui.
Et puis, il y a un autre aspect. Ils se sentent utiles. Souvent, c’est un binôme. La maman (je dis la maman parce que c’est souvent le cas) va s’occuper de son enfant handicapé et ce fils ou cette fille handicapée, c’est lui ou elle qui va acheter le pain, qui met le couvert…, et ils se sentent indispensables. J’ai une famille où les deux parents sont encore là, avec des maladies assez avancées, incapables aujourd’hui de bouger de chez eux, c’est leur fils handicapé (55 ans) qui va à la poste, fait les photocopies, quelques courses, qui ouvre la porte… et qui est dans une terrible angoisse !… Je ne suis pas sûre que les parents s’en rendent compte. Quand il vient aux ateliers que nous organisons, il vient surtout pour parler. Pour nous dire que son père est tombé dans les toilettes, qu’il a fallu le ramasser, que sa maman ne peut plus faire ceci ou cela… C’est une angoisse terrible pour lui.

ASC : Comment la personne handicapée vit-elle la disparition des parents ?

Marie-Paule BIls comprennent très vite la disparition. Je pense qu’il est très important de leur en parler très tôt, de les accompagner aux enterrements familiaux, de ne pas les en éloigner, au contraire. Ils doivent pouvoir s’exprimer sur ça.
Dans les SAMSAH (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Personne handicapée), ils ont vraiment cette approche. Il y a toujours un éducateur pour les accompagner lors du décès d’un parent. Mais on ne va pas leur enlever leur peine, ça fait partie de leur vie. Je vois des parents qui veulent éviter cette souffrance-là à leur enfant, qu’il soit jeune ou moins jeune. Ce n’est pas ma position. J’ai emmené mon fils à tous les enterrements de famille. Il vient de perdre son grand père. Il a participé à tout et depuis longtemps. Il a témoigné à la cérémonie à sa mesure, avec le peu de langage qu’il a, mais il a participé comme ses frères l’ont fait. Je crois que c’est une démarche intérieure qu’ils font, à leur niveau, mais ils avancent. Et ce sera plus facile après.
Je suis pour qu’on les mette devant la réalité des choses, la maladie, la mort, les attentats qu’on a eus dans le 11ème… Mon fils a eu beaucoup de mal parce qu’on a eu, dans la famille, des amis très proches qui ont perdu des amis. Mais on y est allé, ça l’a choqué d’accord, mais nous aussi on était choqués. Il faut leur donner un accès à la vie normale, comme tout le monde. Ils ont des sentiments, une compréhension, une sensibilité souvent bien plus développée que nous.
Ils sont confrontés à la mort et au vieillissement. Ce qu’ils ont du mal à accepter, c’est la maladie. Il faut leur expliquer la maladie mais c’est plus compliqué. Il y a la peur de la souffrance et de la maladie. C’est quoi souffrir ? Cela va de la prise de sang à l’accompagnement à la fin de vie. Il faut les accompagner, leur expliquer les choses.

ASC : Est-ce qu’on avance aujourd’hui dans la reconnaissance et la place de la personne handicapée mentale dans la société ?

Marie-Paule BOui, on avance bien. Je suis assez positive. Il y a eu la loi de 2002 et celle de 2005 qui améliorent petit à petit les choses notamment sur la prise en charge dans les établissements. Mais ce qui n’avance pas aujourd’hui, c’est la création d’établissements. Il y a encore, pour le handicap lourd, quand on ne peut plus garder un enfant parce que son handicap est tel qu’on ne peut pas le gérer à la maison, dans cette situation-là, on a beaucoup de mal à trouver des places. Il y a la possibilité d’envoyer la personne en Belgique, parce qu’ils ont créé beaucoup plus d’établissements que nous en France, mais ce n’est pas une solution tout à fait satisfaisante. C’est loin. Il y a quelques cas qui se passent mal, mais pour la plupart ça se passe bien. Les parents que je connais dans cette situation ne veulent pas enlever leurs enfants de Belgique, ils ne veulent pas qu’on supprime cette possibilité de faire soigner son enfant en Belgique. Maintenant, pourquoi n’avons-nous pas cette possibilité chez nous ? Il faut trouver des solutions innovantes. Ce qui coûte le plus cher, ce sont les structures d’accueil médicalisées, pour les vieillissants en particulier.


Propos recueillis par M. BLB
Bénévole à l’ASC

 


 

Liens utiles :

Association Les Papillons Blancs de Paris

www.apei75.fr

Guide pratique, Association des Papillons Blancs de Roubaix-Tourcoing, « Le vieillissement des personnes en situation de handicap mental », 2015

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