Projet de loi sur la modernisation de notre système de santé : où en sommes-nous ?
Lancé en 2013 par le gouvernement, sous la responsabilité de Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales, de la Santé et du droit des femmes, le projet de loi sur la modernisation du système de santé en France termine son parcours législatif.
Adoptée en première lecture, par une très large majorité, à l’Assemblée Nationale le 14 avril 2015, (311 pour, 241 contre), le sénat l’a adopté à son tour, le 6 octobre dernier, (185 voix pour et 31 contre).
Jeu de navette oblige, le texte sera débattu pour adoption définitive, mi novembre à l’Assemblée Nationale. Sa mise en application est prévue pour janvier 2016.
Dans le prolongement de la stratégie gouvernementale en santé, est également annoncée pour 2016 la grande Conférence de la Santé qui réunira tous les acteurs du système autour de trois axes majeurs : la formation initiale des professionnels de santé ; les métiers et compétences ; les parcours professionnels et les modes d’exercices.
Des enjeux et des ambitions
Cette loi tente d’adapter notre système de santé aux grands défis du 21ème siècle pour mieux répondre aux besoins de la population. Passer d’un système aujourd’hui trop cloisonné et à bout de souffle, à une médecine de parcours de soins organisés autour du patient, avec le patient.
Les principales ambitions de la loi sont de faire de la prévention une priorité, de combattre les inégalités dans l’accès aux soins et de relever le défi des grandes mutations en marche, à savoir : le vieillissement de la population, l’augmentation rapide des maladies chroniques qui touchent aujourd’hui près d’un français sur 4, (diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires…). Elle doit favoriser la coopération et la coordination entre les professionnels de santé pour une meilleure prise en charge des patients. Elle entend conserver le caractère universel et solidaire sur lequel repose le modèle français de protection sociale.
En matière de démocratie sanitaire, la loi veut faire progresser le droit des patients et la transparence en santé puisqu’elle permettra aux citoyens de se défendre collectivement face à certains préjudices subis dans le domaine sanitaire (action de groupe). Tout le monde a en mémoire les scandales du Médiator ou des prothèses mammaires qui ont fait nombre de victimes.
Elle crée des droits nouveaux comme, entre autre, le « droit à l’oubli » pour les anciens malades de cancers ou autres pathologies lourdes pour, entre autre, l’accès aux prêts bancaires ; la suppression du délai de réflexion de 7 jours pour les IVG ; la lutte contre le refus de soins.
Par ailleurs, l’article 13 de ce projet de loi ouvre des perspectives nouvelles pour la psychiatrie en faisant une distinction claire entre la politique de santé mentale et l’organisation de la psychiatrie.
Si les décrets d’application promettent d’être rapides, la mise en œuvre ne sera pas des plus simples. La médecine préventive, ô combien nécessaire à la réduction des risques et des coûts, a été le parent pauvre des politiques de santé en France. Le concept de santé publique a parcouru, tout au long du XXème siècle, un lent et difficile chemin, autant dans les esprits que dans les faits.
La santé publique, un engagement citoyen
Cette modernisation annoncée engage la responsabilité de chaque citoyen/usager, de chaque professionnel de santé pour conserver, améliorer et financer le niveau de santé actuel.
Aujourd’hui, les déterminants socio-économiques, culturels et environnementaux pèsent de plus en plus sur la santé de l’homme et génèrent nombre d’inégalités. La santé de tous est hautement tributaire des conditions et niveaux de vie des populations, de la contamination et pollution des lieux et de l’air, des changements climatiques, des flux migratoires, des conditions de travail, des nuisances sonores… la liste des pathologies physiques et psychiques liées à ces états de faits est conséquente.
Mais, si des progrès réels et significatifs ont été réalisés en termes d’information, de mobilisation, de gestion des risques, une étude (2009) de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) montre combien la perception des risques est propre à chaque individu. La pensée collective en termes de santé publique n’est pas encore une priorité individuelle au service du collectif.
Pour exemple, acte citoyen par excellence, se faire vacciner contre la grippe ne mobilise pas les foules. En 2015, 53 % des personnes à risque n’ont pas été vaccinées, chiffres du bulletin épidémiologique de l’INVS au 22 mai 2015. Un recul de 2,6 points par rapport à 2013, selon le ministère de la santé.
L’impact a été très important sur l’activité des structures de soins : 30 000 passages aux urgences, 3133 hospitalisations, 1558 cas graves admis en réanimation avec 163 décès, sans compter ceux dû aux complications liées à la grippe. Pour la saison 2014/2015, l’épidémie, compte tenu de son ampleur, (3 millions de personnes touchées) a coûté 180 millions d’euros à la Sécurité Sociale, selon le journal Le Monde (26/03/15). Une note salée à laquelle il faut rajouter le coût de l’absentéisme dans les entreprises privées ou publiques, soit 400 à 500 millions d’euros.
Des mesures concrètes pour les usagers
Un des axes fort de la réforme concerne tout particulièrement les usagers que nous sommes. Objectif : faciliter et simplifier l’accès aux soins.
Parmi les mesures phares du texte de loi :
1 - La généralisation du tiers payant, déjà pratiquée chez les pharmaciens, les biologistes ou les infirmiers libéraux, supprime l’avance de frais chez le médecin. Le renoncement aux soins pour raisons financières concerne près d’un tiers de la population selon le ministère de la santé. Simplification donc pour l’accès à tous aux soins de premiers recours dans les cabinets médicaux.
2 - La loi prévoit également la mise en place d’un « tarif social » pour les soins dentaires, (prothèses et orthodontie), les lunettes et les appareils auditifs pour les assurés bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS). Une mesure qui permettra d’encadrer les prix pour des soins toujours très chers, trop chers. Un million de foyers seraient concernés.
3 - Pour mieux s’orienter dans un système de santé souvent complexe, un numéro d’appel national harmonisé sur tout le territoire, sera mis en place pour joindre un médecin aux heures de fermeture des cabinets médicaux.
4 - En terme de démocratie sanitaire, cette loi renforce la participation des usagers aux décisions prises dans les établissements de santé sur les questions de qualité, de sécurité et d’organisation du parcours de soins.
De même, elle rend obligatoire la représentation des usagers dans les instances de gouvernance de toute agence sanitaire nationale.
5 - La loi crée « un service public d’information en santé » sous forme d’une plateforme multimédia, accessible par tous. Une sorte de « GPS » santé pour, par exemple, trouver un professionnel de santé ou un spécialiste, un laboratoire de biologie médical à proximité de chez soi, mais aussi des informations pour connaître ses droits ou se renseigner sur la prévention et les moyens de rester en bonne santé.
(Source : dossier de presse du ministère des affaires sociales et des droits des femmes « projet de loi santé » 15 octobre 2014)
L’esprit de la loi est de changer le quotidien des usagers et des professionnels de santé dans les 10 années à venir.
Soufflera-t-il assez fort pour qu’usagers et professionnels œuvrent ensemble, pour une santé responsable, égalitaire et source de mieux être pour tous ?
M. Barbin le Bourhis
Sur le net :
Parcours législatif et institutionnel 2013-2015, principales orientations de la loi
Qu’y a-t-il dans la loi : infographie
Synthèse des différents articles du projet de loi relatif à la santé
http://www.nile-consulting.eu/?rub=notes
Direction de la recherche et statistique de la santé en France 2015
http://www.drees.sante.gouv.fr/l-etat-de-sante-de-la-population-en-france-edition-2015,11406.html
Documents de référence
Quelques jalons pour une histoire de la santé publique du XIX siècle à nos jours
http://www.histrecmed.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=282&Itemid=221
Un livre pour mieux comprendre : DEMOCRATIE SANITAIRE, les nouveaux défis de la politique de santé de Didier Tabuteau.