Soirée Débat 30 mars à 19h
“Sale temps pour les grenouilles. Attention, burn-out !”
C’est sous ce titre et sous la forme d’un roman situé dans le milieu de l’édition qu’Isabelle Bourdial a tenté de surmonter les affres de sa propre expérience de harcèlement. Un essai réussi grâce à sa connaissance intime du phénomène et un imaginaire débridé et jubilatoire.
L’enfer commence par la nomination d’un nouveau directeur au pôle Arts et Savoirs des éditions Galvani, dont le siège se situe à Paris-Montparnasse. L’équipe tourne bien, la maison d’édition se porte bien, mais voilà que ce nouveau dirigeant, un certain Grégoire Delahousse, fait du zèle et entame un processus de réaménagement des contenus éditoriaux et des espaces de travail.
Des salariés déboussolés
Sans comprendre le but de la manœuvre, les salariés, après un temps d’hébétude, décident d’adhérer au projet. “Ce type est génial”, analyse le responsable du département Histoire et Civilisations, un certain Hadrien Lapousterle, qui est aussi le narrateur du roman d’Isabelle Bourdial. “Il a tout de suite mis le doigt sur ce qui clochait dans le pôle [Arts et Savoirs]. L’immobilisme, la frilosité… On ne tentait rien de nouveau. Il était temps de donner un coup de pied dans la fourmilière.” Mal lui en prit, car ce grand naïf – ou trop optimiste ou trop gentil, comme le sont souvent les victimes désignées du harcèlement - va tomber de Charybde en Scylla : il y perdra son bureau, son autonomie, la cohésion de son équipe, la satisfaction du travail accompli dans les règles de l’art, la tranquillité de ses jours et de ses nuits, son mode de vie équilibré, et bien d’autres choses encore. Et pas seulement lui.
Isabelle Bourdial décrit par le menu comment, au fil des semaines, sous l’impact des agissements de ce Dr Gregory House à la française, les responsables éditoriaux et leurs proches collaborateurs et collaboratrices plongent dans la crise et la suspicion, perdent confiance en eux-mêmes et les autres, tombent dans la déprime et les addictions diverses, se laissent parfois pervertir, et finissent par s’entredéchirer.
Un prédateur en mission
Mais ce n’est là qu’un pan du problème : il faut aussi comprendre le fonctionnement de ce directeur fraichement nommé qui surprend, séduit, puis détruit la vie des individus et des équipes. Est-ce un “être malfaisant” ? Un “pervers narcissique” ? Un tueur ? Un costkiller ? Difficile à saisir, il se révélera en tout cas être un “prédateur”, un “tortionnaire”, un “menteur ET manipulateur” – pour ne citer que quelques qualificatifs dont les salariés l’affublent, une fois sortis de l’endormissement dans lequel il les a progressivement plongés par ses éléments de langage trompeurs et ses initiatives savamment orchestrées.
Finalement, c’est une amie mise dans la confidence, une professionnelle des Ressources humaines extérieure à l’entreprise, qui donnera au responsable du département Histoire et Civilisations, la clé du personnage : “En résumé, son système de harcèlement repose sur cinq points. Un, il te surcharge de travail, de préférence des tâches nouvelles. Deux : il t’isole de ton équipe. Trois : il te rétrograde de façon officieuse. Quatre : il substitue son autorité à la tienne. Cinq : il te neutralise, pour t’empêcher de contrecarrer sa manœuvre.”
Mais “pourquoi [veut-il] nous nuire ?”, continuent de s’interroger les autres. Et pourquoi fait-il savoir qu’il veut licencier la responsable du pôle Arts ? L’entreprise se porte-t-elle aussi mal qu’il le prétend ? Mais pourquoi des chiffres fiables ne sont-ils pas diffusés sur les dernières ventes ? Quel est son réel objectif ? Agit-il seul ou de connivence avec “la grande Catherine”, la directrice adjointe de la maison ?
Happy End
A toutes ces questions, le roman d’Isabelle Bourdial apporte des réponses issues de l’expérience concrète de l’auteure, mais aussi de son savoir théorique de journaliste scientifique. Et surtout, il ouvre des pistes de questionnement, de compréhension et d’interprétation du harcèlement au travail. Peut-être aussi d’identification. Dans ce cas, il est heureux qu’il offre aux lecteurs et aux lectrices un formidable moment de réjouissance. Car ce roman sur la souffrance au travail et les risques de burn-out est écrit avec intelligence et une immense dose d’humour – et il s’achève sur un Happy End. “Voilà, les grenouilles ont pris leur élan et ont sauté hors de la casserole. Place aux conspirateurs”, écrit Bourdial, quand les salariés, scandalisés par la perspective d’un licenciement et redynamisés par une première action de résistance collective, se liguent pour fomenter un plan visant à saper l’autorité de leur “tortionnaire” et à le décrédibiliser aux yeux de sa hiérarchie. Ils y parviendront - et démontreront, dans la joie et la bonne humeur retrouvées, que “la mutinerie a des vertus thérapeutiques”. Et qu’un autre mode de management est possible, pour le plus grand profit de l’entreprise et de ses salarié.es.
Danièle Renon, pour l’Atelier Souffrance au Travail
NB : La métaphore de la grenouille s’inspire de George Orwell et de l’idée que les individus, rendus insensibles à la dégradation de leur situation par la lenteur du processus enclenché par la hiérarchie, réagissent généralement trop tard pour s’en sortir au mieux de leurs intérêts.
Isabelle BOURDIAL, Sale temps pour les grenouilles. Attention, burn-out !, Les éditions du Loir, Châteaudun 2021, 287 p., 9,90 €
Président du collège des membres fondateurs de l’Association Santé Charonne, Bernard Casnin publie son autobiographie, à l’orée de ses 90 ans. Il retrace pour nous son extraordinaire parcours personnel, professionnel et militant, qui lui a valu de recevoir, le 30 septembre, la Médaille de la Ville de Paris. Hommage à l’ami et à l’humaniste engagé qui contribue au succès de notre association depuis ses origines.
L’Association Santé Charonne (ASC) a été fondée en 1978, avec pour premier objectif de faciliter l’installation, dans le quartier de Charonne d’un cabinet de médecine générale accessible à tous. Bernard Casnin, que les membres de l’ASC connaissent bien, est moteur depuis le début de l’histoire de l’association, et reste essentiel à la vie de celle-ci, dont il préside le collège des membres fondateurs, organe statutaire de l’ASC.
Il y a, aujourd’hui en particulier, deux bonnes raisons de dire quelques mots à propos à propos Bernard :
Cette médaille lui a été remise le 30 septembre 2022 à la mairie du xie arrondissement par Anne Hidalgo, maire de Paris, et François Vauglin, maire du xie, en présence d’élus, dont Patrick Bloche, adjoint à A. Hidalgo et Rosalie Lamin, adjointe à F. Vauglin. De nombreux parents et amis de Bernard étaient présents, avec au premier rang sa femme, Marie-Jo. Retrouver le discours de Bernard lors de cette cérémonie.
Cette médaille récompense les sept décennies de militantisme de Bernard dans la sphère socio-économique, associant vie professionnelle et militantisme associatif. Le livre retrace cette trajectoire, qui est étroitement lié à sa vie personnelle et familiale.
Ce qui est particulièrement remarquable de cette vie est la très grande cohérence entre les valeurs qui animent Bernard et son action.
Bernard est né en 1933 : il a donc traversé les évènements, souvent dramatiques, qui ont marqué les deux derniers tiers du xxe et le début du xxie siècle : suites de la crise de 29, montée des fascismes, stalinisme, Deuxième Guerre mondiale, Guerre froide, guerre d’Algérie et décolonisation, « 30 glorieuses », crises économiques, sociales et géopolitiques qui se succèdent depuis 1973… Il a eu une enfance pauvre dans une famille désunie puis séparée, avec de graves ennuis de santé et des séjours prolongés en préventorium ; il a subi directement, avec sa mère et son frère, la répression nazie.
Après son certificat d’études primaires, il est confié aux Apprentis orphelins d’Auteuil, où il devient apprenti menuisier. Il est ensuite placé dans une ferme, toujours comme apprenti.
Un exemplaire du livre peut être consulté à l’accueil de la maison de santé Charonne.
Il s’en échappe, et un conseiller d’orientation lui ouvre deux portes : l’une vers l’apprentissage du métier de tailleur de pierre et l’autre vers le syndicalisme à la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens). Il restera toujours fidèle à ce syndicalisme chrétien, et rejoindra la CFDT (Confédération française du travail) lors de la scission de 1964 qui aboutit à la création de cette dernière. Il poursuit sa formation à l’École des métiers du bâtiment, où il obtient un CAP et un brevet d’enseignement industriel de tailleur de pierre. Il est alors aiguillé vers les Monuments historiques, où il commence sa vie professionnelle. Il s’oriente rapidement vers le travail en cabinet d’architectes.
C’est à ce moment qu’il rencontre Marie-Jo Pignol, qui lui fait découvrir l’action éducative et sociale, en particulier en faveur des adolescents et des femmes. Elle deviendra sa femme en 1954. Leur couple en est aujourd’hui aux noces de granit – 68 ans de mariage –, et approche donc les noces de platine – 70 ans de mariage. À partir de 1955, ils militent contre le mal-logement, en liaison avec les Compagnons d’Emmaüs, créés par l’abbé Pierre.
La trajectoire de Bernard poursuit sa progression dans le secteur de l’architecture, où il prend en charge la réalisation d’ensembles immobiliers de plus en plus importants, dans les secteurs public et privé (à la Défense par exemple), mais surtout de plus en plus dans le domaine du tourisme familial et social, jusqu’à sa retraite en 1994 en même temps que sa femme, qui avait travaillé avec lui depuis la création de l’Atelier d’architecture Bernard Casnin en 1965.
En parallèle, il négocie, au nom de la CFTC et avec la CGT, la première convention collective, signée en 1962 pour les collaborateurs salariés des cabinets d’architectes, qui sont à l’époque 22 000, ce qui constitue une petite révolution dans le monde très corporatiste de l’architecture, puis il travaille à l’amélioration de la formation de ces collaborateurs.
Il continue avec la création, l’animation et souvent la direction de diverses associations, que ce soit par exemple dans le domaine du tourisme social ou, en 1964, avec PROMOCA, dans celui de la promotion sociale et de la formation permanente des collaborateurs d’architectes,
En 1972, il est légalement reconnu comme architecte – reconnaissance rare pour qui n’a pas le diplôme d’architecte – et s’inscrit à l’ordre des architectes ; il sera élu en 1982 au conseil de l’ordre des architectes.
La même année voit la réalisation de l’Opération Charonne, au 177 rue de Charonne, avec la construction de logements sociaux, de la nouvelle église du Bon Pasteur et de locaux associatifs et culturels mis à disposition des habitants du quartier. La gestion de ces locaux sera confiée à partir de 1974 à l’AGECA, association créée à cet effet par des militants du quartier.
En 1978 est créée l’Association pour l’animation d’un centre de santé à Charonne, qui deviendra en 1983 l’Association Santé Charonne (ASC). Elle est hébergée dans les murs de l’Association diocésaine de Paris et permet, dans un premier temps, l’installation d’un premier médecin généraliste, le docteur Annie-Claire Deyon-Avanturier, qui a pris récemment sa retraite et fait partie du collège des membres fondateurs de l’ASC.
L’ASC se développe, avec la création d’une maison pluri-professionnelle de santé (MSP) qu’elle héberge dans le cadre de la Maison de santé Charonne (MSC), qui réunit désormais 5 médecins généralistes, une kinésithérapeute et une psychologue et qui cherche à intégrer au moins un(e) infirmier(e) et un(e) autre kinésithérapeute. Cette MSP est, depuis 2016, installée dans les nouveaux locaux du 61 bis bd de Charonne.
Depuis sa retraite, Bernard continue son action associative, en particulier avec :
Cette vie lui a permis de rencontrer beaucoup d’acteurs importants de la vie militante, associative, sociale et politique des 70 dernières années – Safi Boudissa, Edmond Maire, Pierre Mendès-France, etc., et aussi Jacques Brel –, de militer et de travailler avec eux et de lier des liens d’amitié profonds avec certains d’entre eux, comme Jacques Delors.
Nous n’évoquerons pas davantage la vie personnelle de Bernard, avec Marie-Jo, leurs trois filles, leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants – vous pouvez vous reporter à son livre. Il nous suffit de dire que la médaille qui lui a été remise le 30 septembre 2022 récompense une activité professionnelle et militante de plus de 70 ans, qui se caractérise par une fidélité absolue aux valeurs qui l’animent, avec un courage constant devant les vicissitudes historiques, familiales, personnelles, sociales et politiques inévitables dans un tel parcours. Cette activité se poursuit, en particulier à l’ASC.
Pour tout cela, Bernard, bravo et merci.
Les ateliers actifs à partir de la rentrée 2022 sont les suivants. Retrouvez ici le programme avec toutes les dates et les horaires.
Relaxation Trager® Mentastics®
Une fois par mois En savoir plus
Films et Débats
Date à fixer
L’équipe des animateurs de l’atelier Souffrance au travail a rédigé deux articles de fond sur ce sujet, malheureusement de plus en plus d’actualité :
Près de la moitié des médecins généralistes partiront à la retraite d’ici dix ans, alerte le Conseil local de Santé dans un récent bilan des forces et des faiblesses de l’offre de médecine libérale dans l’arrondissement.
Un document du “Conseil local de Santé 11ème” en date de mars 2022, établi avec le concours de la Mairie de Paris, de la Mairie du 11ème, de l’Agence régionale de santé et de la CPTS de Paris 11 (Commission professionnelle territoriale de santé, nouvellement créée, dans laquelle l’ASC représente les usagers ), dresse un “portrait territorial de santé du 11ème arrondissement”.
Le ministère de la santé pousse à la création de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), chargées d'assurer localement une meilleure coordination des actions de santé.
L’ASC a été élue au conseil d’administration de la CPTS du XIe arrondissement comme la représentante des usagers du système de santé.
Lire la suite : L’ASC représente les usagers à la « CPTS Paris 11 »
EN ATTENTE D'UN ANIMATEUR