photos : Francesca Napoli

Littérature et médecine : une alliance thérapeutique dans les soins de premiers recours ?

En mars 2015, l’ASC et son groupe Echang’Livres ont participé aux Journées internationales du livre voyageur dont le but est de faire du monde une grande bibliothèque.

Depuis, Francesca Napoli, graphiste et éditrice, usager depuis l’enfance du cabinet médical Arnica de l’ASC, a mis en place un système Echang’Livres dans la salle d’attente du cabinet. Chacun peut déposer ou emprunter un livre. Le service est anonyme et gratuit. Cette bibliothèque partagée est une invitation à la lecture. Mais plus encore à la rencontre et aux échanges dans un espace aux airs feutrés de café littéraire. Le livre devient parole, conseil, antidote à l’attente ou à l’enfermement solitaire de nos états d’âme.

Les livres prendraient-ils soin de nous ? Quelles sont les répercussions de la lecture sur la santé ? 

Lire : un acte salutaire.

Qui n’a jamais ressenti un petit frisson de plaisir à ouvrir un livre. A s’y plonger à cœur perdu, à faire « rideau » en une fuite parfois vitale et délicieuse du monde réel.

Qui ne s’est pas glissé dans la peau d’un personnage de roman ? Qui n’a pas rencontré son double ? Projection libératoire, libératrice.

Une histoire qui pourrait être la nôtre. La lecture nous ouvre tout grand les portes de mondes inconnus ou méconnus. Courage, fuyons !

Quelle est la puissance évocatrice d’un roman, d’un conte, d’un poème…? Quelles sont les forces de l’écrit ?

La littérature, par son pouvoir identificateur, nous autorise tout : passion, volupté, violence, démesure, transgression, fantasme, rédemption, esprit d’aventure… Elle force notre intimité, pénètre loin notre inconscient. Sans témoin ni trompette. Seul à seul.

Lire est comme vivre par procuration. Un risque tranquille, pimenté de sueurs et d’effrois car tour à tour nous nous faisons héros, victime, roi ou reine ! « à l’insu de notre plein gré ». Bon ou méchant, on peut choisir son camp en toute quiétude et secrète solitude. Au détour d’une page, la lecture fait surgir par surprise nos émotions les plus enfouies. Confirmation de soi ou confrontation à soi ? Qui est l’autre, qui est moi ? Acte d’introspection créatif, lire ravive des curiosités endormies, aide à penser, rêver, rire ou pleurer. Sortie de route parfois salutaire, les livres tricotent et détricotent nos petits bouts de vies malmenées. Instants d’altérité et de sortie de soi.

La bibliothérapie : un principe actif pour une médecine globale.

L’idée n’est pas nouvelle mais encore peu étudiée dans le milieu médical en France. Utiliser ou prescrire le livre comme allié thérapeutique pour aider le patient à aller mieux ou trouver des éclairages utiles à sa situation, telle est, en substance, la définition de la bibliothérapie ou, étymologiquement parlant, « soigner par le livre ».

Utiliser le livre comme outil de soin. L’idée est née à la fin de la première guerre mondiale, aux Etats-Unis, dans les hôpitaux militaires, pour soulager les troubles psychologiques des soldats revenus des combats. Si la lecture thérapeutique ne s’applique pas à tout le monde, elle est considérée, outre atlantique, comme source d’apaisement pour certains états dépressifs, crises d’angoisse, troubles du sommeil, troubles alimentaires, troubles légers de santé mentale…

C’est à partir des années 50 que de nombreuses études sur le sujet ont forgé le concept tant dans le domaine médical que socio-éducatif. Mais il faut attendre les années 2000 pour que son institutionnalisation s’établisse dans les soins. La « Reading Thérapie » est aujourd’hui largement utilisée dans les pays Anglo-Saxons. Pionniers en la matière, ils entendent cette pratique comme bénéfique pour une « perception rationnelle du monde et des émotions, comme moyen de contester les mouvements de l’âme »

Au Royaume-Uni, la bibliothérapie est désormais reconnue dans le monde médical comme vecteur de soin efficace. Dans les faits, la Reading Agency, organisme caritatif, a lancé un programme qui consiste à prescrire, au sens strict, un abonnement en bibliothèque assorti d’une liste d’ouvrages conseillés. La School Life à Londres propose un programme thérapeutique par la bibliothérapie de groupe. Les patients peuvent échanger et dire leurs émotions à la lecture d’ouvrages conseillés. Ces lectures guidées sont dirigées par des thérapeutes.

En France, cette « médecine douce » a encore du mal à prendre pied dans les modalités de prise en charge globale du patient, tant prônées par ailleurs. Une seule thèse de doctorat a été publiée à ce jour sur le sujet. Celle du Dr Pierre André Bonnet, (La bibliothérapie en médecine générale), soutenue à la faculté de médecine de Marseille en 2009. Pour lui, la bibliothérapie est « un outil de soin et de prévention en santémentale ». Elle « correspond à la lecture, motivée par une personneou un tiers, d’un support écrit dont la finalité est une amélioration mentale, soit par une diminution de la souffrance psychologique, soit par le renforcement du bien être psychologique ». Dans son enquête auprès de 186 médecins, 80% déclarent ne pas connaître la bibliothérapie. Pourtant, nombre de travaux, journée d’étude, colloques, séminaires ont été consacrés, ces dernières années, à l’étude du lien entre littérature et médecine.

Dans les hôpitaux psychiatriques, à l’instar de celui de Maison Blanche à Neuilly sur Marne, la création d’une médiathèque a engagé bibliothécaires et médecins à travailler ensemble pour orienter et guider les lectures des patients.

Marc Alain Ouaknin, rabbin, philosophe et professeur d’Université, considère le livre comme un puissant outil d’ouverture et de liberté. Ses recherches sur la bibliothérapie font référence. Michèle Petit, anthropologue reconnue, consacre plusieurs essais sur ce sujet et aux bienfaits de la littérature pour la construction de soi. Pour Philippe Cornet, professeur de médecine générale et écrivain, l’idée n’est pas saugrenue. Le 17 juin 2015, il présidait le jury de thèse de doctorat en médecine générale de C. Grimshaw qui traite de « l’influence des personnages de médecins dans la littérature romanesque sur la pratique de médecine générale : la fiction influence t’elle le réel ? ».

Selon une étude américaine menée par deux psychologues (Science : 18 octobre 2013, n° 6156), lire dope l’intelligence émotionnelle et les capacités d’empathie. A l’époque, cela n’avait pas surpris le Pr Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie et addictologue. Auteur de plusieurs ouvrages d’inspiration cognitivo-comportementale, ceux que l’on nomme les « help self book » tel le (Le nouveau malade imaginaire : l’utopie du bonheur parfait ? Ed Hachette Littérature 2004 ») il réfute toutefois la notion de « livre médicament ».

Ces livres « d’auto-assistance » sont lus par un très large public en quête de réponses aux problèmes psycho-sociologiques qu’il peut rencontrer au travail ou en famille. Les ventes explosent en librairie.

Dans un autre genre et pour ne citer que lui, le très célèbre médecin psychiatre et éthologue Boris Cyrulnik a publié nombre d’essais à caractère psychologique et popularisé le concept de « résilience ». Pour des personnes en « mal de soi », tous ses livres sont des hymnes à la vie, en considérant nos épreuves comme autant de forces avec lesquelles on peut se construire ou se reconstruire. (Les vilains petits canards. Ed Odile Jacob, 2001. Sauves toi, la vie t’appelle, Ed Odile Jacob, 2012. La résilience ou comment renaitre de sa souffrance. Ed Fabert. 2009)

Quand à Victor Hugo, il n'aurait pas boudé le concept, «…Le besoin de tout c’est la lumière. La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez le rayonner, laissez le faire. Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaisez, mettez des livres partout… » (Victor Hugo. Discours d’ouverture du congrès de littérature internationale. 1878.)


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Des livres partout ?

C’est fait au cabinet médical Arnica du 177 rue de Charonne.

La lecture ?

Des moments de bonheur, de réflexion et d’évasion, à consommer sans modération.

 

M. Barbin le Bourhis

 


 

Les sources de l'article

Sur le net :

Thèse de doctorat. Dr Pierre André Bonnet. La bibliothérapie en médecine générale. Faculté de médecine de Marseille. Octobre 2009.

http://af.bibliotherapie.free.fr/These.pdf

Françoise Alptune. Qu’est ce que la bibliothérapie ? Bulletin des bibliothèques de France. N° 4, 1994.

http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1994-04-0094-011

Entretien avec Marc Alain Ouaknin. Pod cast France culture, 24/11/2013, Les vertus thérapeutiques de la lecture. Lire c’est guérir. En direct du salon du livre par radio France. 57mn.

http://www.franceculture.fr/oeuvre-biblioth%C3%A9rapie-lire-c-est-gu%C3%A9rir-de-marc-alain-ouaknin.html

Michèle Petit, anthropologue : La littérature pour rendre le monde plus habitable, par Marion Sabourdy, 29 avril 2013.

http://www.echosciences-grenoble.fr/actualites/la-litterature-pour-rendre-le-monde-plus-habitable

Héloïse Léréthé. Pourquoi lit-on des romans ? Revue Sciences humaines, 30 octobre 2010.

http://www.scienceshumaines.com/pourquoi-lit-on-des-romans_fr_25791.html

Magalie Bonhomme : Bibliothérapie : Un projet ? Une recherche ? Tout simplement une façon de « lire aux éclats »

http://af.bibliotherapie.free.fr/texte%20magali%20bibliotherapie.pdf

Célèbre discours d’ouverture de Victor Hugo au congrès littéraire international de 1878. Eloge du livre et de la littérature.

http://www.atramenta.net/lire/discours-douverture-du-congres-litteraire-international-de-1878/1923/1#oeuvre_page

Cahiers de narratologie. Edwige Comoy Fusaro. Avant propos à la section Littérature et Médecine. Journée d’étude. 10 octobre 2008. Université de Nice Sophia Antipolis.

http://narratologie.revues.org/6057

Céline Grimshaw, thèse de doctorat en médecine générale, 17 juin 2015, « Influence des personnages de médecins dans la littérature romanesque sur la pratique de médecine générale. La fiction influence t’elle le réel ? »

http://www.sftg.net/documents%20PDF/Influence%20des%20personnages%20de%20medecins%20dans%20la%20litterature.pdf

 

Ouvrages :

michele petit art de lire ou comment resister adversite
Petit Michèle. L’art de lire ou comment résister à l’adversité. Belin, 2008. 265 p. Coll. Nouveaux Mondes

 

michele petit eloge de la lecture
Petit Michèle. Eloge de la lecture : la construction de soi. Essai. Ed Belin. 2008.

 

litterature medecine generale
Littérature et médecine (sous la direction de Gérard Danou) - 
Actes du colloque « Littérature et médecine ou les pouvoirs du récit ». Organisé par le BPI du centre Pompidou, juillet 2001.

 

marc alain ouakim
Ouaknin, Marc Alain. Bibliothérapie. Lire c’est guérir, coll. Points, Éditions du Seuil, 1994.

 

pierre andre bonnet bibliotherapie medecine generale
Pierre André Bonnet thèse de doctorat en médecine générale, faculté de médecine de Marseille, 2009.